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mardi 7 octobre 2025

Drame silencieux au Bénin : les serveuses privées de Planification Familiale moderne

Loin des projecteurs, dans l’ombre des débits de boisson animés se déroule régulièrement des drames divers.
L’histoire d’Ognandon, contrainte de retourner au village avec un enfant non désiré, et surtout le décès tragique de sa collègue, Rose, sont bien plus que des faits divers. Ils sont la preuve d’une crise invisible et persistante de santé publique au Bénin : l’incapacité à atteindre les jeunes femmes les plus vulnérables avec l’accès à la Planification Familiale (PF) moderne.

Entre stigmatisation, horaires de travail incompatibles et le danger mortel de la désinformation, ces vies brisées révèlent l’urgence absolue d’adapter les stratégies de santé. Pour cette jeunesse, souvent issue de la migration et des milieux précaires, le droit de choisir son corps et son avenir demeure encore un mirage.

Le prix mortel d’une fausse promesse

C’est loin des tumultes des villes à Ottola, un village Ifè dans la commune de Savalou, à environ 300 kilomètres au nord-ouest de Cotonou qu’après un long voyage qui s’est terminé par une course en moto, qu’Ognandon nous accueille ce samedi 22 février 2024. Il est 11h23, et le soleil est déjà haut. Son sourire, qui ne parvient pas à masquer une certaine peine, nous confirme que le périple est terminé.
​Au milieu des tâches quotidiennes — vaisselle et lessive — trottine un petit garçon d’à peine trois ans, incarnation de son destin brisé. « Mon fils est la raison pour laquelle je suis rentrée au village », nous confie-t-elle, émue.

Comme la majorité des serveuses dans les débits de boissons, Ognandon travaillait dans un environnement de grande vulnérabilité. Jeunes, souvent peu instruites et soumises à la pression économique, ces femmes sont des cibles faciles. C’est dans ce contexte qu’elles ont rencontré une tradipraticienne sillonnant les bars, promettant des « tisanes miracles » pour la contraception et la lutte contre les infections. « Elle nous avait convaincues… on a décidé d’acheter et d’utiliser. On avait confiance », raconte Ognandon.
Un remède fatal et ses conséquences
Le remède miracle s’est révélé être une fausse promesse dramatique. À 21 ans, Ognandon tombe enceinte, manquant d’ailleurs une « opportunité de voyage » vers un pays du Golfe, cruciale pour son avenir. Malgré ce revers, la jeune femme estime qu’elle s’en est bien tirée.

Sa collègue Rose, âgée de 19 ans à l’époque, n’a pas eu cette chance. Enceinte d’une grossesse qu’elle cherchait à cacher, elle s’est tournée vers une solution désespérée : l’avortement clandestin. Rose a fini par succomber à une crise fatale après l’échec de l’avortement et des infections non traitées. Pour Ognandon, le constat est sans appel : l’échec de la « solution traditionnelle » a tué son amie. « Elle avait déjà eu une fille à 16 ans. C’est pour gagner de l’argent et prendre soin de sa fille qu’elle est venue travailler, mais voilà qu’elle a finalement laissé la petite », ajoute-t-elle, les yeux larmoyants.
Ce drame met en lumière l’extrême danger de l’automédication et des solutions non vérifiées qui continuent de prospérer dans le vide laissé par les politiques de santé. Un vide où l’information fiable et l’accès aux soins font cruellement défaut.

Quand la précarité devient un piège mortel

L’environnement précaire des bars et débits de boisson se révèle être un angle mort des politiques de santé. Ces jeunes femmes subissent une vulnérabilité triple : elles sont jeunes, peu informées et sous des pressions économiques et sociales intenses.

Les faits soulignent l’ampleur du fossé dans l’accès aux Droits et Santé Sexuels et Reproductifs (DSSR) au Bénin. Une étude de 2023, menée par le Dr Victorien Tamègnon Dougnon et son équipe et publiée sur ResearchGate, révélait un lien critique : « Les adolescentes dont les besoins financiers ne sont pas satisfaits sont 1,7 fois (p=0,041) plus susceptibles d’avoir une première grossesse non planifiée par rapport aux autres. » Un constat qui résonne tragiquement avec l’histoire de Rose, venue travailler pour sa fille et décédée en tentant d’éviter une deuxième grossesse non désirée.
« Il est crucial de proposer un service spécifique à cette cible particulière qui […] est très fréquentée par les hommes et se trouve vulnérable », insiste Roland Agossou, chercheur spécialiste de l’accès aux soins publics. Honoré Soglohoun, tenancier de bar à Abomey-Calavi, témoigne aussi de la récurrence des cas de travailleuses prises au piège des grossesses non planifiées : « Je constate souvent cela… et c’est pour cela que dès qu’elles viennent chez moi, j’essaie de les sensibiliser, mais ce n’est pas toujours efficace » sans support professionnel.

Les trois murs à abattre : Horaires, coût et stigmatisation

Les programmes de santé classiques, avec leurs centres ouverts en journée, sont un luxe inaccessible pour ces travailleuses. Leurs horaires de travail tardifs et irréguliers rendent la fréquentation des structures de santé presque impossible.
Mais l’obstacle majeur n’est pas seulement logistique. C’est la stigmatisation qui fait reculer. La peur d’être jugée en demandant une contraception ou un dépistage d’IST/VIH est un puissant frein. Ognandon le confirme : « Je ne savais pas exactement où aller… et puis je n’avais pas beaucoup d’argent non plus ».

La voie de l’innovation : Sortir les services des murs

Le Bénin et ses partenaires ne sont pas démunis face à ce public « invisible ». La solution réside dans l’adaptation radicale de l’offre de soins, en s’inspirant de ce qui a déjà fonctionné pour réduire les grossesses en milieu scolaire.

L’enjeu est d’amener l’offre là où est la demande. Des interventions directes et mobiles, via des pairs éducateurs ou des relais communautaires formés, peuvent distribuer l’information et les produits contraceptifs modernes directement dans les bars et restaurants. Cette méthode est vitale pour contourner les obstacles d’horaires et de stigmatisation, et atteindre des jeunes femmes comme Rose avant qu’il ne soit trop tard.
Adapter les solutions numériques et lutter contre la désinformation

L’outil digital, une arme contre la désinformation

Des initiatives comme l’application Elles et le chatbot Billi offrent un espace de dialogue confidentiel et sans jugement. Ces outils fournissent des informations fiables et orientent vers les structures de soins, agissant comme un refuge digital.

Lancée par la Dre Viviane Oke et son équipe, Elles s’adresse aussi bien aux filles qu’aux garçons. « L’objectif est de permettre aux jeunes d’accéder à des informations de qualité sans craindre le jugement ou la stigmatisation », explique la médecin. Les utilisateurs peuvent également être orientés vers des professionnels de santé.

Quant au chatbot Billi, développé par l’Association des Blogueurs du Bénin, il propose une approche ludique et accessible. Lancé en 2023, il permet aux jeunes de discuter avec des professionnels de santé, de poser des questions sur l’IVG ou de se renseigner sur les IST. « Nous avons conçu Billi pour combler un vide d’informations. Le style est jeune, accessible et répond aux besoins des utilisateurs », souligne Emmanuel Ganse, président de l’association.

Toutefois, il est essentiel d’adapter ces outils à cette cible, souvent peu instruite mais disposant majoritairement de smartphones. Ces solutions constituent un « grand pas » en avant, selon Roland Agossou.

Repenser les centres de santé

Les Centres et Services Conviviaux pour les Adolescents et Jeunes (CCA/SCASS) doivent ajuster leurs horaires et garantir une confidentialité absolue. Ils doivent promouvoir activement les méthodes Longue Durée d’Action Réversible (LDAR), qui offrent une protection de plusieurs années, essentielle pour cette jeunesse qui ne peut se permettre une grossesse non désirée.
Des DSSR pour l’autonomisation économique

Aujourd’hui, Ognandon, contrainte de laisser son fils à sa mère pour « tenter d’autres aventures » faute de moyens, illustre la spirale de la pauvreté que provoquent ces drames. Pour le Bénin, transformer cette crise invisible en victoire de santé publique nécessite d’intégrer les DSSR non pas comme un luxe, mais comme un élément central de l’autonomisation économique de cette jeunesse.

La solution réside dans des stratégies d’accessibilité qui ciblent directement ces jeunes femmes : services de santé mobiles, interventions sur les lieux de travail et solutions numériques pour une information fiable.

C’est en allant vers elles, là où elles travaillent, que le pays pourra enfin garantir que chaque femme puisse décider de son corps et, surtout, de son avenir.

Afin de garantir l’anonymat, certains noms ont été remplacés.

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